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L'Affaire Jacobs

9/19/2017

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«Blake et Mortimer» victimes du casse du siècle
Le Soir - 16/09/2017 PAR DANIEL COUVREUR

Qui a joué avec les clés des coffres de la Fondation Jacobs ? Nous avons mené l’enquête pendant plusieurs mois pour comprendre comment plus de 200 originaux de Blake et Mortimer se sont évaporés.
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Jacobs jouait ses propres personnages avant de les dessiner. Hélas, quand les vrais voleurs ont vidé sa maison, ses héros de papier sont restés impuissants. Copyright - Jacques Labeye.

​Avec Hergé, Jacobs est l’autre monstre sacré de l’école de Bruxelles. Ensemble, ils ont écrit l’histoire du journal Tintin . Leurs héros, Tintin, Milou, Blake et Mortimer sont entrés dans la légende du 9e Art. Mais si l’héritage d’Hergé est jalousement préservé dans le Musée qui porte son nom, celui de Jacobs fait l’objet depuis plusieurs années d’un véritable hold-up sur le marché de l’art.
La Fondation Jacobs, créée par l’auteur de son vivant, en 1983, et mise en liquidation judiciaire à la demande de son président actuel, Philippe Biermé, en 2016, ne contrôle plus la situation. Cet été, les clés de ses coffres ont été confiées à la garde de la Fondation Roi Baudouin. Entre-temps, une nouvelle Fondation Edgar Jacobs a été constituée avec Moulinsart pour assurer la gestion du droit moral sur l’œuvre de Jacobs. Par un invraisemblable pied-de-nez de l’histoire, Tintin vole ainsi au secours de Blake et Mortimer !
Mais entre-temps, des dessins, des croquis, des calques et des planches originales circulent par centaines. Ces pièces de musée, négociées entre 70 et parfois plus de 200.000 euros, font l’orgueil de collectionneurs privés de Bruxelles à Hong Kong. Des faux foisonnent aussi sur les sites d’enchères, sans que personne ne soit inquiété.
​Blake et Mortimer ont-ils été trahis ? Quel rôle opaque jouent les galeristes et les experts dans la fuite des originaux ? Les collectionneurs ont-ils le droit de posséder et d’exposer ces trésors ? Nous avons passé le testament et les archives de Jacobs à la loupe, rencontré les anciens administrateurs de sa Fondation, interrogé les collectionneurs, questionné les marchands d’art.
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Jacobs avait fait encadrer ce dessin rare dans sa maison du Bois des Pauvres. Il faisait partie des pièces de musée léguées à sa Fondation et figure pourtant aujourd'hui dans une collection privée.
Par testament, le créateur de Blake et Mortimer avait confié la garde de ses originaux à une Fondation portant son nom afin, «  d’éviter la dispersion anarchique de son œuvre ou la mainmise sur celle-ci par certains affairistes de la bande dessinée  ». Il avait fait don à sa Fondation de tous ses «  originaux, dessins tableaux, quels qu’ils soient  », jusque et y compris ceux qui ne «  se trouveraient pas encore en lieu sûr dans le coffre  ».
Nous avons retrouvé le premier secrétaire de la Fondation, l’assureur, ami et confident de Jacobs, Jacques Labeye. C’est lui qui avait accompagné l’auteur à la banque pour y déposer l’ensemble des planches originales en 1986. Aujourd’hui, il témoigne : «  Jacobs savait parfaitement tout ce qu’il avait et ce qu’il n’avait plus car il disposait, à la maison, d’une photocopieuse professionnelle avec laquelle il faisait des copies systématiques de tous les documents. Ses originaux étaient classés par album dans de grandes fardes. Il les a mises au coffre, avec moi. On a déménagé ça dans ma voiture, parce que Jacobs n’avait qu’une petite Golf. Je peux vous assurer que toutes les planches originales ont bien été rangées dans le grand coffre ouvert au nom de la Fondation à ce qui était encore la BBL, avenue Marnix. Heureux, Jacobs s’était habillé en complet veston sur mesure. Il venait enfin, pensait-il, d’atteindre son but : mettre ses originaux à l’abri.  »

« Il conservait absolument tout »

Jacques Burgraeve, vice-président de la Fondation Jacobs entre 1989 et 1999, a aussi eu accès au coffre. Comme Jacques Labeye, il nous certifie que la quasi-totalité de l’œuvre s’y trouvait.
«  Le président comme le vice-président pouvaient se rendre seuls au coffre. Les autres administrateurs devaient être accompagnés. Je m’y suis rendu avec Charles Dierick pour les expositions montées au Centre belge de la BD. J’ai vu les fardes d’originaux des albums. Elles étaient complètes. Il manquait tout au plus, ici ou là, une ou deux planches. Quand on parle de 200 planches dans la nature pour une œuvre qui en compte environ 670, cela me semble invraisemblable. Ou alors, celui qui a fait ça s’est montré incroyablement imprudent. On ne peut pas laisser croire que des dizaines de planches se seraient retrouvées sur le marché après avoir été égarées. Il n’y a eu qu’un très petit nombre d’expositions d’originaux et je certifie que tout était revenu à la Fondation.  »

Depuis sa retraite des Loges-en-Josas, sur la route de S.O.S. Métérores, au sud de Paris, Pierre Lebedel, administrateur de la Fondation Jacobs depuis sa création et auteur du Manuscrit E.P. Jacobs, ne nous cache pas son effroi. Il en appelle à la justice pour faire la lumière sur ce «  détournement d’actifs  ».
«  J’ai rencontré Jacobs au cours d’une enquête sur “le petit monde de la BD franco-belge”, au début des années 1970. Plus tard, nous avons fait ses mémoires de L’Opéra de papier ensemble. Il y avait 500 documents reproduits dans ce livre. J’ai passé huit jours avec lui à examiner les originaux de tous ses albums. Il ne manquait pas une planche ou presque. Il conservait tout, jusqu’aux dessins de ses cahiers d’école ! Il ne donnait d’originaux à personne. Après sa mort, en 1987, sa maison a été pillée, notamment par son beau-fils, René Quittelier, et le demi-frère de Philippe Biermé, l’escroc Guy Imperiali. Ses livres, sa correspondance, des croquis, des esquisses ont disparu. Heureusement, les planches, déposées au coffre, n’étaient plus dans la maison. Il est donc faux de croire que celles qui inondent le marché de l’art pourraient avoir été volées à ce moment-là.  »
En 1989, deux ans après la mort de Jacobs, Philippe Biermé est devenu président de la Fondation. La majorité des administrateurs a voté pour lui, sauf Piere Lebedel. Il estimait que Biermé était en conflit d’intérêts avec la Fondation car il était propriétaire du Studio Jacobs et donc des droits sur les personnages de Blake et Mortimer, en même temps qu’actionnaire des Editions Blake et Mortimer avec Claude Lefrancq. C’était déjà, pensait Pierre Lebedel, une amorce de « trahison »…
«  Il prétendait défendre le droit moral sur l’œuvre de Jacobs avec la Fondation, alors qu’il se faisait des couilles en or avec la publication du tome 2 des 3 Formules du professeur Sato, dessiné par Bob De Moor. Ensuite, il a revendu les Editions Blake et Mortimer, puis le Studio Jacobs à Média-Participations. La transaction s’est élevée à près de 1,6 million d’euros. J’ai réclamé sa démission, en vain. Il est resté à la tête de la Fondation pendant 28 ans, avant de la liquider. C’est lui qui porte la responsabilité du pillage de l’œuvre.  »

« Hong Kong ? Ne publiez rien là-dessus ! »

Aujourd’hui, Pierre Lebedel rappelle que la Fondation Jacobs était d’utilité publique et que c’est aussi la Belgique qui a été spoliée d’une part importante de son patrimoine. Il a décidé, avec un autre ancien administrateur, Charles Dierick, et Claude de Saint-Vincent, patron du Studio Jacobs et directeur général de Média-Participations, de «  faire rendre gorge à Philippe Biermé devant la justice  ».
En 1982, le guide des Trésors de la bande dessinée écrivait : «  N’espérez pas être un jour propriétaire de ne serait-ce qu’un dessin de Jacobs, car il possède toute son œuvre, à l’exception de sept planches volées  ». La liste en avait été remise aux administrateurs de la Fondation et publiée dans la presse. Comment expliquer dès lors la soudaine abondance des originaux de Jacobs sur le marché ? Auteur de Petites histoires originales, un voyage parmi les planches originales de la bande dessinée, et fondateur de la Maison de la Bande Dessinée de Bruxelles, François Deneyer nous éclaire sur ce scandale.
«  Il n’y a tout simplement jamais eu de véritable inventaire de l’œuvre. En 1989, Philippe Biermé expliquait dans une interview aux Cahiers de la BD, que son objectif était de “photographier chacune des pièces conservées dans les coffres” mais rien n’a été répertorié. Les premières planches ont commencé à circuler vers 2004-2005. A Bruxelles, Alain Van Neyghen de 9th Art Gallery proposait deux ou trois planches. Il était en connexion avec l’expert BD d’Artcurial, Eric Leroy. Le grand collectionneur belge, André Querton en a acheté une. Un employé des éditions du Lombard s’en est payé une autre, du Mystère de la Grande Pyramide, pour 100.000 euros. Six mois plus tard, Van Neyghen est revenu avec deux planches de La Marque jaune . Eric Leroy laissait entendre qu’il pouvait obtenir une planche de n’importe quel album. Il devenait clair que les portes des coffres étaient ouvertes.  »
Selon des témoignages convergents, Eric Leroy aurait notamment vendu plusieurs dizaines des plus belles planches de la série Blake et Mortimer à Raphaël Geismar, un collectionneur français de Hong Kong. Geismar a publié les joyaux de sa collection sur le site 2DGallery, sous le pseudonyme d’El Cascador. Elles n’y sont restées que quelques heures mais cela a suffi pour susciter l’émoi sur le marché de l’art. «  Hong Kong ? Je vous recommande de ne rien publier là-dessus, nous répond Eric Leroy. Cela relève de la vie privée des collectionneurs. Je ne vous dirai rien de plus à ce sujet. »
Sous le couvert de l’anonymat, un proche d’Eric Leroy nous confirme cependant que «  Geismar possède bien les plus belles planches de Jacobs et qu’il les a obtenues via Eric Leroy  ». Il refuse de nous en révéler la provenance mais nous glisse en boutade : «  Maintenant que la Fondation Roi Baudouin a les clés des coffres de Jacobs, je suis curieux de voir ce qu’il reste vraiment dedans !  »
«  Ce collectionneur de Hong Kong possède des dizaines de planches et plusieurs couvertures mythiques, dont celles du Secret de l’Espadon !, corrobore François Deneyer. Plus tard, le galeriste parisien Daniel Maghen a aussi vendu des planches. J’en ai vu 50 et une dizaine de couvertures du journal Tintin chez lui, ainsi que des calques de la Pyramide et de La Marque jaune. A mes yeux, ce qui était là ne pouvait provenir de la Fondation. Maghen m’a répondu qu’il avait des factures d’achat en règle et que ses avocats l’avaient assuré de son bon droit.  »
«  J’ai vendu des planches de Jacobs tout à fait officiellement avec des factures, nous indique Daniel Maghen, Pour ce qui concerne ceux qui me les ont vendues ou achetées, il est de mon devoir de préserver la confidentialité à ce sujet. Je dois protéger les intérêts de mon business.  »
​Faire l’inventaire des coffres

Alors que reste-t-il vraiment dans les coffres, trente ans après la mort de Jacobs ? Nous sommes allés poser la question à celui qui en possède désormais les clés, Dominique Allard, directeur de la Fondation Roi Baudouin.
«  Philippe Biermé a fait donation à la Fondation Roi Baudouin des collections exceptionnelles de la Fondation Jacobs. C’est la garantie formelle que ce patrimoine est désormais sanctuarisé. La valeur inestimable de ces œuvres méritait que la Fondation Roi Baudouin prenne le risque d’accepter cette donation, indépendamment de ce qui a pu arriver dans le passé. Notre vocation n’est pas de chercher ce qui manquerait dans les coffres  ».
A ce stade, tout ce dont le directeur dispose, c’est d’un document de Philippe Biermé concernant certaines pièces volées ou disparues : «  Cette liste est non exhaustive. A la grosse louche, j’évalue le nombre de planches originales présentes dans les coffres à 470 environ. Mais après inventaire, nous découvrirons peut-être que ce chiffre est plus élevé. De toute manière, nous ne sommes en rien concernés par la valeur financière de l’œuvre. En passant dans notre giron, elle est devenue inaliénable et se retrouve d’un seul coup démonétisée. Nous communiquerons sur le contenu après inventaire officiel mais il sera probablement impossible, en droit, de prouver précisément que telle planche était bien au coffre à telle date.  »
PhotoJacobs avait lui même déposé les fardes contenant les originaux de l'ensemble des aventures de Blake et Mortimer au coffre de sa Fondation en 1986.



Philippe Biermé: «Nick Rodwell mettra autant d’énergie à défendre le patrimoine de Jacobs que celui d’Hergé»

Philippe Biermé est montré du doigt comme le principal responsable de la dispersion du patrimoine du père de Blake et Mortimer. Cet ami de Jacobs, tour à tour président et liquidateur de la Fondation, nous a accordé une longue interview dans laquelle il refuse d’entrer dans le costume machiavélique d’Olrik : «  Je travaillais aux Editions du Lombard quand j’ai rencontré Jacobs, en 1966, au banquet de l’anniversaire des 20 ans du journal Tintin. A l’instant où l’auteur de Blake et Mortimer est arrivé, je ne l’avais encore jamais vu. Il m’a dit  : «Si je devais vous dessiner, vous seriez un apôtre !» Jacobs n’avait pas eu d’enfants. Je me suis senti comme un fils. Je suis devenu son conseiller technique. Une fois par semaine, je me rendais chez lui. Nous sommes devenus amis. A la suggestion de son notaire, Jacobs réfléchissait à la création d’une Fondation. Comme j’étais devenu son bras droit, nous avons fait ça ensemble.  »
Mieux que quiconque, Philippe Biermé devait donc savoir ce qui figurait dans les collections de la Fondation et être en mesure de nous désigner parmi les pièces mises en vente aujourd’hui, celles qui auraient été volées. Selon lui, le chiffre de 200 planches sur le marché n’aurait rien de surprenant mais personne ne pourra jamais, dit-il, faire toute la clarté là-dessus.
«  Jacobs n’a pas fait d’inventaire. Il a dressé une liste de ce qu’il n’avait pas déposé au coffre. Ce document atteste de la présence dans sa maison de seize planches de Blake et Mortimer. Elles ont disparu dans le pillage de son domicile, après son décès, pendant que j’étais en Egypte. Il faut y ajouter une autre liste, celle des originaux perdus ou dérobés : 5 planches de la Pyramide, de l’Atlantide, du Piège, de Sato, les couvertures de l’Atlantide et de S.O.S. Météores. Il y avait aussi cinq coloriages, deux planches offertes à la Ville de Liège et douze planches qu’il m’avait données. J’en ai cédé trois à un ami pour 30.000 euros avec interdiction de les revendre ! Le reste devait être au coffre. Mais c’est plus compliqué que ça car il y avait déjà de faux originaux dans les collections de Jacobs et d’autres pièces manquantes auxquelles il faisait allusion dans son testament…  »
Le fautif, dans l’esprit de Philippe Biermé, c’est le notaire : «  Il aurait dû faire un inventaire explicite. En 2010, le comptable de la Fondation a constaté que personne n’avait jamais déclaré les actifs de la Fondation. Si on avait fait l’inventaire à ce moment-là, il aurait fallu tout déclarer à la valeur du marché et trouver un million d’euros pour les droits d’enregistrement !  »
Mais si la Fondation n’avait pas les originaux dans ses actifs, comment Philippe Biermé a-t-il pu faire une donation à la Fondation Roi Baudouin ? La réponse est simple : trente ans ont passé. «  Jacobs est mort le 20 février 1987, nous étions donc au-delà du délai de prescription. Les actifs ont pu entrer officiellement dans le giron de la Fondation. En cas d’inventaire du contenu des coffres, on risquait cependant d’être taxés pour apport de société. Afin d’éviter d’avoir à payer ça, j’ai pensé à une donation à la Fondation Roi Baudouin.  »


Reste qu’en sa qualité de président, Philippe Biermé a bénéficié sans discontinuer d’un accès privilégié aux coffres depuis 1989. Il pouvait s’y rendre seul et en dehors de tout contrôle. C’est la raison pour laquelle tous les regards se sont tournés vers lui, quand des originaux sont apparus massivement chez les galeristes.
«  D’accord, des planches ont disparu ici et là mais comme aucune ne figurait ni juridiquement ni fiscalement dans l’actif de la Fondation, j’aurais pu les prendre toutes si j’en avais eu l’intention ! Le seul échec que j’admets, c’est celui du dysfonctionnement de la Fondation. La faute en incombe à certains administrateurs comme Pierre Lebedel et Charles Dierick, qui ont mis le bordel. A propos, quand Charles Dierick a été au coffre avec Jacques Burgraeve, en 1997, pour monter l’expo du Centre belge de la BD, je n’étais pas là. Il aurait dû dresser la liste précise des planches prêtées et la signer. Ça n’a pas été fait. Et quand Charles Dierick et Pierre Lebedel ont été aux coffres dans le cadre de la réalisation d’un livre publié par Dexia, Le Manuscrit E.P. Jacobs. Ils avaient l’autorisation d’emprunter 13 originaux. J’en ai vu 78 reproduits dans leur livre ! Mais je n’accuse personne. Je cite ces exemples pour montrer que c’est trop facile de dire que j’aurais été le seul à pouvoir sortir des pièces des coffres.  »
Chacun s’interroge enfin sur les raisons qui ont poussé Philippe Biermé à liquider la Fondation pour en créer une autre avec Nick Rodwell de Moulinsart. Il déclare vouloir « professionnaliser » le conseil d’administration. «  Les administrateurs ne seront plus nommés à vie. Les statuts sont déposés et n’attendent plus que le sceau royal. Nick Rodwell mettra autant d’énergie à défendre le patrimoine de Jacobs que celui d’Hergé. Il a déjà l’idée de créer une salle à Jacobs au Musée Hergé et de monter une exposition Hergé-Jacobs au Grand Palais de Paris en 2018. Quand Claude de Saint-Vincent s’indigne de le voir entrer dans la nouvelle Fondation et parle de hold-up sur l’héritage, il a tout faux. Jacobs lui-même disait : « Ça ne me dérange pas d’être colonel quand Hergé est le général.  »


Claude de Saint-Vincent n’a pas de doute sur l’escroquerie
LE SOIR PLUS - 16/09/2017 - PAR DANIEL COUVREUR

​A travers le Studio Jacobs, créé par Jacobs en 1986 et racheté par Média Participations en 1992, Claude de Saint-Vincent entend incarner le dernier gardien du temple. Au départ, Jacobs avait imaginé trois entités pour assurer le contrôle et la pérennité de son œuvre. Outre la Fondation qui portait son nom, il y avait les Editions Blake et Mortimer, chargées de la publication de ses albums, et le Studio Jacobs, gestionnaire des droits patrimoniaux sur son œuvre et responsable du financement en même temps que du «  contrôle  » de sa Fondation. C’est ce rôle que Claude de Saint-Vincent revendique dans le recours devant la justice belge contre la mise en liquidation de la Fondation par Philippe Biermé.
«  Philippe Biermé n’a eu de cesse de nous diaboliser au sein de la Fondation. Il s’est arrangé pour que le nombre des administrateurs tombe sous le quorum nécessaire. Ça lui a permis de demander la liquidation judiciaire sans passer par un vote. Dans l’intervalle, on a constaté, à partir de 2015, une grande évasion de planches originales des aventures de Blake et Mortimer. Nous avons été alertés par des collectionneurs auxquels Daniel Maghen avait montré un lot d’une centaine de planches mais la Fondation n’existait plus. A qui fallait-il demander des comptes ? Nous avons esté en justice.  »

Claude de Saint-Vincent a aussi écrit aux galeristes impliqués dans la revente des planches. «  Nous leur avons rappelé que ces planches avaient été attribuées à la Fondation Jacobs de manière intangible par le testament de l’auteur. Nous n’avons pas reçu de réponse de Daniel Maghen mais, curieusement, Philippe Biermé nous a envoyé une lettre incendiaire. Cela laisse supposer qu’ils étaient bien en contact. Biermé nous précisait que les planches ne figuraient pas dans les actifs de la Fondation. Il réfutait notre droit à contester ces ventes. Nous savons qu’environ 200 planches ont disparu. Contrairement à ce que prétend Philippe Biermé, il n’y a pour moi aucun doute sur la propriété des originaux. S’ils ne faisaient pas partie des actifs de la Fondation, c’était pour des raisons fiscales. Cela permettait d’éviter le paiement de droits de succession colossaux. Et donc je renverse la question : à qui pourraient-elles appartenir d’autre qu’à la Fondation Jacobs, qui était titulaire des coffres dans lesquels elles étaient conservées ? Pour moi, il n’y a pas de doute sur la malveillance et l’escroquerie. C’est pourquoi nous contestons la validité de la mission de liquidation confiée à Philippe Biermé.  »

Sans attendre le verdict de la justice, Claude de Saint-Vincent conserve l’objectif de mettre en œuvre une nouvelle Fondation Jacobs, dont le conseil d’administration serait incontestable et débarrassé de Philippe Biermé. La gouvernance en serait assumée par les Editions Blake et Mortimer, le Studio Jacobs, le Centre belge de la BD, la Fondation Roi Baudouin, le Musée d’Art moderne, d’anciens administrateurs de la Fondation Jacobs au-dessus de tout soupçon, des personnalités du monde de l’art et de la critique. Mais en sa qualité de liquidateur de la Fondation Jacobs, Philippe Biermé nous a révélé avoir déjà créé une nouvelle Fondation Edgar Jacobs avec Moulinsart.
«  Nous voulons défendre l’intérêt de l’œuvre et la mémoire de l’auteur, rien d’autre, souligne Claude de Saint-Vincent. Chacun des nouveaux albums de Blake et Mortimer que nous avons publié après la mort de Jacobs a contribué à renforcer sa notoriété et à financer sa Fondation. Conformément au testament de Jacobs, le Studio reverse une partie des royalties sur les albums au fonctionnement de la Fondation. Si Biermé précipite les choses, c’est parce qu’il craint de nous voir mettre le nez dans les coffres. Nous voulons savoir ce qu’il est advenu des planches. Et cela nous semble saugrenu de voir tout à coup, un représentant officiel du monde de Tintin associé à l’univers de Blake et Mortimer. Moulinsart est mal placé pour s’ériger en défenseur d’un patrimoine qui n’est pas le sien. Hergé et Jacobs ont été amis mais surtout concurrents. La promotion de l’œuvre de Jacobs est incompatible avec celle d’Hergé.  »

La donation de ce qui reste du contenu des coffres à la Fondation Roi Baudouin, ne suffit pas non plus à rassurer Claude de Saint-Vincent. «  Cela ne résout en rien les questions sur la gestion des originaux, à savoir : qui décidera des prêts, des autorisations de reproduction ou de consultations à des fins de recherche ? La Fondation Roi Baudouin n’est pas dans ce rôle. Cette mission ne peut être assumée que par une nouvelle Fondation Jacobs avec un conseil d’administration indépendant, solide, compétent et transparent.  »

François Schuiten: «La postérité de l’œuvre est compromise!»
LE SOIR PLUS - 16/09/2017 - PAR DANIEL COUVREUR

Défenseur exemplaire du patrimoine belge de la bande dessinée, le dessinateur des Cités obscures, François Schuiten, a fait don de son vivant des planches les plus remarquables de son œuvre à la Fondation Roi Baudouin et à la Bibliothèque Nationale de France. Dans les années 1970, quand Jacobs cherchait un collaborateur pour terminer le second tome des 3 Formules du professeur Sato, il avait hésité à se proposer. Aujourd’hui, il se rattrape en travaillant sur un album d’hommage aux personnages de Blake et Mortimer. Dans l’entretien exclusif qu’il nous a accordé, il ne cache pas sa colère de voir disperser les joyaux de Jacobs. Un galeriste parisien est venu lui en présenter une trentaine dans son atelier.

Jacobs a-t-il été trahi ?
Il avait mis au point le scénario parfait : une Fondation pour la conservation des originaux, une maison d’édition pour s’assurer que ses livres continueront bien d’être édités, un studio pour veiller à l’archivage, à la restauration, à la reproduction de ses œuvres. Le dispositif était exemplaire. Chacune de ses planches est un trésor de minutie invraisemblable. Voilà pourquoi il voulait que ses planches échappent au monde marchand. S’il avait créé une Fondation, c’était pour que ça n’arrive pas. Il y avait investi ses deniers personnels. Il a été visionnaire en matière défense du patrimoine BD.

Comment se fait-il que personne n’ait tiré la sonnette d’alarme ?
Il y a là un scandale absolu ! Je ne comprends pas que dans un pays si sourcilleux en matière de règles sur les héritages et les fondations, les pouvoirs publics n’aient rien contrôlé pendant trente ans ! Tout le monde savait qu’il existait une Fondation Jacobs, dont la mission est de protéger cette œuvre. On a assisté à un mécanisme extrêmement pervers. Les premières planches dérobées sont d’abord apparues en ventes publiques. Il n’y en avait jamais plus d’une à la fois. Du coup elles ont atteint des montants énormes, parce que tout le monde était convaincu que le reste était bloqué dans les coffres. Stratégiquement c’était remarquable. Et puis le rythme s’est emballé. Des paquets de planches sont apparus sous le manteau et j’en ai eu en main une trentaine…

Quelle a été votre réaction ?
Cela se passait il y a un an et demi, via un galeriste français important à qui j’ai affaire régulièrement. J’étais émerveillé. Le travail de Jacobs est une épure de l’épure. J’ai découvert qu’il dessinait au dos de ses planches pour corriger certains détails en les passant ensuite à la table lumineuse. D’un côté, j’étais heureux de voir ça et ces crayonnés au dos des planches devraient aider les experts à reconnaître les faux. Ça me ramenait aussi à mes propres doutes, à mes propres repentirs. D’un autre côté, j’étais interloqué. Les planches étaient proposées entre 200 et 250.000 euros, en catimini… Je me demandais ce que faisait la Fondation. J’étais interloqué.

Vous n’avez pas songé à donner un coup de pied dans la fourmilière ?
C’est difficile. Tout le monde se tient, entre celui qui a sorti les planches du coffre, l’intermédiaire qui les vend, celui qui les propose aux collectionneurs… Chacun évite d’être transparent. Beaucoup d’auteurs contemporains vendent leurs planches pour vivre mais ce n’était pas le cas de Jacobs. La vente des planches de Blake et Mortimer ne bénéficie en aucun cas à l’auteur, disparu depuis trente ans, ni à sa Fondation, mais à des gens qui n’ont aucun respect pour l’œuvre. C’est là que j’enrage. Deux cents planches dans la nature, c’est très grave ! C’est toute la postérité de l’œuvre qui est compromise. Dans un pays qui se prétend la patrie de la BD, c’est à hurler de honte.

La Fondation Roi Baudouin détient désormais les clés du coffre : le pire est derrière nous ?
J’attends de voir l’ampleur des dégâts. Je voudrais savoir précisément ce qui manque. Cela devra être dit ! Alors seulement, on pourra se réjouir que le reste soit entre les mains de la Fondation Roi Baudouin. J’espère qu’il restera suffisamment de pièces pour honorer dignement la mémoire de Jacobs et monter la première vraie rétrospective de son œuvre car depuis sa mort, la Fondation n’a jamais fait son job.
​

Faut-il porter plainte ? Sera-t-il possible de récupérer tout ou une partie de ce qui a été volé ?
Il serait indispensable de localiser ce patrimoine et, à tout le moins de persuader les collectionneurs de pouvoir le répertorier et le reproduire. Il faudra aussi rendre des comptes car c’est le mot que je n’entends pas dans cette malheureuse histoire ! La Fondation Jacobs était devenue un lieu de non droit. Comment une Fondation a-t-elle pu exister aussi longtemps sans un inventaire du patrimoine qu’elle est censée protéger ! Comment aucun des organismes de contrôle public, pourtant nombreux dans ce pays, n’a jamais posé la question des actifs de cette Fondation, de leur inaliénabilité ?
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